Ou pourquoi je vais vous conseiller de vous placer aux premiers rangs de la salle de cinéma où vous irez voir La vie d’Adèle, à partir du 9 octobre.
D’accord, en ce qui me concerne, du moins au départ, ce n’était pas volontaire. Mon sens de l’orientation défaillant ayant joué sur mon heure d’arrivée, dans la difficulté de trouver trois places consécutives avec mes accompagnatrices (merci à Elodie qui m’a permis de voir le film avec un peu d’avance !), nous nous sommes retrouvées à une distance suffisamment réduite de l’écran pour remarquer la plus petite vergeture sur le sein gauche de Léa Seydoux, chaque reste de vernis mal retiré sur les ongles d’Adèle Exarchopoulos, et les traits d’eyeliner mal tracés sur les paupières de la bande de fielleuses copines de l’héroïne au lycée.
La vie d’Adèle est un film charnel, où chaque détail (la sauce bolognaise qui dégouline de la bouche des personnages, les boutons d’acné ou les cloques sur les mains non maquillés d’Adèle) appuie le réalisme de l’histoire mais aussi le caractère terre-à-terre et sensuel de l’héroïne, pour mieux l’opposer à Emma, la jeune artiste dont elle tombe amoureuse, intellectuelle et idéaliste. Vous ne verrez plus jamais les huîtres comme avant. Ni les spaghetti, d’ailleurs.
Ce côté méticuleux fait toute la beauté des images, toute la subtilité aussi dans les messages que fait passer Abdellatif Kechiche, mais aussi le gros bémol du film, à savoir sa longueur. J’ai à plusieurs reprises regardé ma montre ou levé les yeux au ciel en marmonnant « on a compris, passe à autre chose » pour des scènes où l’on s’attardait inutilement, et où l’agacement fait perdre un peu de l’intensité des sentiments qu’elles nous inspiraient au départ.
Il y a un discours social dans La vie d’Adèle, dans la mise en scène du rejet ou du soutien des camarades de classe d’Adèle suite à la découverte de son homosexualité, dans la manifestation à laquelle elle se rend pour plus de moyens pour l’éducation, dans la confrontation des classes entre les parents des jeunes femmes, jusqu’à la signification du prénom du personnage éponyme (justice, en arabe). Il y a aussi en fil rouge une description du passage de l’adolescence (les cours dont on notera au passage que le réalisateur n’a jamais du voir une classe de L tant il y a collé de garçons, les lectures obligatoires, les sautes d’humeur, les potins, l’obsession de la sexualité d’autant plus forte qu’on n’y a pas encore goûté, le rapport à la nourriture) au statut de femme, qui lui aussi est traduit à l’image par des symboles corporels, notamment la coiffure d’Adèle.
Mais La vie d’Adèle, c’est avant tout une histoire d’amour, où peu importe au final qu’elle soit lesbienne. Deux corps qui s’attirent puissamment, une passion qui change à jamais une vie toute entière, la solitude qui nous pousse à commettre des erreurs jusqu’à ce qu’il soit trop tard, les regrets qui dévorent… Il y a un contrecoup 10 minutes après le générique qui vous ramène à vos propres histoires fondatrices, celles qui ont modelé vos comportements amoureux et fondé votre rapport au couple, et c’est après ce contrecoup que l’on comprend la Palme d’Or accordée à La vie d’Adèle.