On sait que la population japonaise a une espérance de vie plus élevée que le reste du monde. On nous répète souvent que c’est dû à leur recours à des formes de soin alternatives telles que l’acupuncture ou les massages que nous autres occidentaux n’avons appris à apprécier que relativement récemment, mais aussi grâce à la médecine traditionnelle japonaise. Mais sur quoi repose-t-elle exactement ? En voici quelques principes de base, d’après le Yôjôkun de Kaibara Ekken, docteur confucianiste à l’ère Edo.
- Il faut favoriser la bonne circulation du Ki (équivalent du qi chinois qui se prononce « tchi »), qui correspond au souffle, à une énergie vitale qui provoque des maladies ou des douleurs si elle stagne dans une partie du corps
- Il faut savoir maîtriser ses désirs et ses passions. C’est une idée qu’on retrouve souvent dans la philosophie occidentale, dès l’antiquité et jusqu’à ce bon vieux Kant. Les passions épuisent, les désirs nous invitent à commettre des excès.
- En revanche, le respect du corps prôné par la médecine traditionnelle japonaise va carrément à l’encontre de la morale judéo-chrétienne, où le corps n’est qu’une enveloppe presque méprisable. Au Japon, le corps a une dimension sacrée, il faut en prendre soin par piété filiale d’abord, parce qu’il nous a été donné par nos parents et que si nous ne vivons pas assez longtemps, nous ne pourrons pas nous occuper de nos aînés, ensuite parce que notre corps est un don du Ciel. Plus que pour soi, on se soigne par dévotion.
- Et comme souvent dans la pensée japonaise, on se doit d’être modéré dans son comportement. Ne pas trop dormir ou paresser, être actif pour favoriser la circulation du Ki, mais se reposer suffisamment ; boire raisonnablement, ne pas faire d’excès alimentaire, et… Ne pas avoir de relations sexuelles trop souvent ! Non mais, vous ne voudriez tout de même pas épuiser votre ki ???
Mesdames, ceci est une dispense tout à fait valable à alterner avec le bon vieux prétexte de la migraine !
Avant toute chose, la médecine japonaise est préventive. Il s’agit d’absorber les bons aliments (les Japonais d’aujourd’hui ont toujours à l’esprit que la nourriture est le premier médicament, et sont les rois des alicaments), d’éviter les risques, et en dernier recours, si la maladie parvient tout de même à vous atteindre, on limitera au maximum les médicaments au profit de l’acupuncture, des cures thermales ou des massages, par exemple.
J’ai tiré de ma lecture du Yôjôkun quelques conseils pratiques applicables de nos jours à nos moeurs européennes, mais ne perdons pas de vue que l’ouvrage date du XVIIème siècle. Si révolutionnaire soit-il, il regorge également de conseils du genre « la femme ne doit pas se laver les cheveux quand elle est réglée » que je vous ai épargnés !
Favoriser la circulation du Ki :
- Parler peu et ne pas se disputer, sans quoi le coeur s’agite ! Il convient également de cultiver la vertu et la patience, pour rester calme.
- Ne pas cracher. L’humidité du corps est précieuse ! (et puis de nos jours, on sait bien que cela répand des microbes !)
- Ne pas rester longtemps chez quelqu’un : cela fatigue à la fois l’hôte et l’invité.
- La pratique du chant ou de la danse ont des effets comparables à un massage et favorisent la bonne circulation du ki.
- Pour une bonne posture assise, il faut réunir son souffle dans le tanden (l’espace situé entre les 2 reins, environ 10 cm sous le nombril), et on respire doucement par l’abdomen pour que le Ki ne monte pas à la tête. Cette respiration permet également de s’apaiser en cas de trouble.
- Pour ne pas avoir de crampes ou d’engourdissement, on peut plier et étirer le gros orteil.
- Lorsqu’on est exposé subitement au vent alors qu’on est légèrement vêtu, contracter fortement ses muscles permet de moins sentir le froid.
Recommandations pour un sommeil réparateur :
- Ne pas s’endormir la tête baissée, ou l’on salivera sur l’oreiller, ce qui déshydrate le corps !
- Se coucher les poings fermés pour éviter les cauchemars.
- Se faire masser avant d’aller se coucher :
1° Effectuer des pressions à l’endroit appelé hyakue, au sommet de la tête.
Ensuite, les points situés aux extrémités des sourcils, et le long du contour des oreilles. Frotter chaque côté du nez avec les majeurs.
2° Masser ensuite la nuque.
3° Faire un pétrissage des épaules.
4° Masser les bras et les doigts un à un.
5° Frictionner le ventre et la poitrine.
6° Pétrir les cuisses.
7° Masser la cheville et les pieds, sans oublier les orteils.
- Au réveil, bien s’étirer. Il est également recommandé :
1° De se masser la nuque.
2° De rentrer le cou et de lever et abaisser les épaules rapidement, 3 fois.
3° De faire glisser les mains sur ses joues de haut en bas plusieurs fois.
4° D’effectuer ensuite un mouvement circulaire autour des yeux.
5° Effleurer 6 ou 7 fois son nez avec son majeur.
6° Pincer ses oreilles et promener ses doigts dessus.
7° Assis sur le bord du lit, ramener ses genoux vers sa poitrine.
8° Puis pétrir sa voûte plantaire et étirer ses orteils.
Cette technique d’automassage est connue sous le nom de dôin.
- Pour ne pas avoir de crampes ou d’engourdissement, on peut plier et étirer le gros orteil.
- Lorsqu’on est exposé subitement au vent alors qu’on est légèrement vêtu, contracter fortement ses muscles permet de moins sentir le froid.
En matière d’alimentation :
- Il ne faut pas trop assaisonner son alimentation et préférer des saveurs légères.
- Il faut manger peu au dîner, en évitant les pommes de terre, les navets et les carottes qui sont difficiles à digérer.
- Ne pas se coucher directement après manger. Prendre le temps de digérer. Une promenade est vivement recommandée après chaque repas.
- Il faut limiter sa consommation de viandes.
- L’aubergine ne doit pas se consommer crue.
- La consommation fréquente de daikon (radis chinois), considéré comme le meilleur des légumes, est vivement recommandée.
- Certains aliments ne doivent pas être mélangés : l’ail et le gingembre, de la viande de porc et de la viande de boeuf, du boeuf et des marrons, du lapin et du gingembre, du lapin et de la moutarde, du poulet ou des oeufs avec de l’ail, des prunes et du miel… Voilà qui ne va pas vous faciliter les choses pour le menu de ce soir !
- En ce qui concerne le thé, le sencha (thé grillé) est préférable au macha (jugé trop fort pour l’organisme). Le thé, consommé régulièrement, élimine les graisses contenues dans le corps.
- On ne doit pas boire de thé ou manger des choses épicées après avoir bu du sake.
- Les ouvrages de médecine traditionnelle japonais avertissent déjà des méfaits du tabac et de l’addiction qu’il provoque…
Et pour finir, petit poème d’un dénommé Hakurakuten, qui pourrait servir de slogan dans la lutte contre le binge drinking :
Celui qui boit beaucoup de sake et le boit cul sec se prend pour un grand homme
Mais que l’on en boive beaucoup ou peu, et l’on est ivre pareillement.
Je te remercie en riant, toi qui en bois beaucoup : tu y perds ton argent !
Très bon article, instructif et documenté. Merci !
[...] ce principe essentiel du « souffle vital » dont j’ai déjà parlé dans l’article sur la médecine traditionnelle japonaise, et qui est à la base de la philosophie asiatique et de la plupart de ses dérivés. J’aime [...]