Déformation professionnelle

Le marketing est partout. Vous pouvez le voir, pour moi et l’ensemble de mes petits camarades qui gagnent leur pain dans la communication, c’est pire : on le comprend.

À absolument n’importe quel moment de notre quotidien.

Lors de la pause goûter, en saisissant un paquet de gâteaux, en remarquant qu’il y a écrit saveur coco sur le paquet, ce qui signifie très probablement qu’ils ont goût à la noix de coco, qu’ils sentent la noix de coco, mais qu’ils ne contiennent en aucun cas de la noix de coco. Pour vérifier vous consultez la liste des ingrédients : farine, édulcorants, arômes… Or vous avez appris que les ingrédients dans cette liste sont classés par ordre de quantité. Vos biscuits sont donc essentiellement composés de farine et d’édulcorants. Mais vous savez pertinemment que les couleurs du paquet, l’image même de la marque, des gammes qu’elle propose, de son logo sont choisies pour vous faire penser « naturel ».

Vous continuez à manger ces gâteaux, parce qu’ils ont du goût, fût-il synthétique, et puis parce que vous voyez tout aussi bien les ressorts commerciaux des produits soi-disant alternatifs. Le bio n’est qu’un argument vendeur comme un autre, avec ses codes et ses arrangements avec la vérité. Vous êtes assez bien placés pour savoir que la sélection darwinienne s’applique aussi aux marques, et vous êtes remarquablement bien informés des conditions de production. Vous mangez de la merde, vous en avez probablement mangé toute votre vie, vous ne trouverez probablement rien d’autre que de la merde, pour le restant de vos jours. Maintenant, vous en êtes conscients. Ce qui signifie qu’en plus de manger de la merde, vous en savez désormais trop pour en apprécier le goût.

Lorsque vous allez vous distraire, prenons un exemple au hasard : au cinéma. Votre radar à stratégie marketing préchauffe déjà en patientant au niveau des confiseries, et il s’affole au moment des bandes-annonces. Vous disséquez le public-cible présumé du film et les publicités qui lui sont montrées, c’est parfois ouvertement raciste ou sexiste, mais vous n’arrivez même plus à vous en offusquer tant vous savez que vous-même commettez ces raccourcis : avez-vous déjà vu l’interface de paramétrage des publicités Facebook ? Vous avez si bien absorbé cette nécessité de cibler la publicité que vous en arrivez vous-même à protester lorsque vous apercevez une publicité qui ne vous concerne pas. Travail mal fait, bon sang, quel gâchis, c’est pourtant pas bien compliqué de se baser sur mon historique don’t-be-evil Google ! Come to the dark side, we have cookies.

Et puis il y a les placements de produits qui vous gâchent le film parce qu’ils sont tellement en contradiction avec le message qu’on essaie si fort de vous faire passer. Ils vous sautent aux yeux et dès lors, vous prenez un malin plaisir à faire une note mentale sur chaque élément de morale manichéenne, de déjà-vu cinématographique et de chaque cliché post-guerre froide pour pourrir méthodiquement l’après-séance de tout accompagnateur éventuel qui a apprécié Elysium comme un divertissement, alors qu’à vos yeux il n’est qu’un très spectaculaire spot destiné à vendre une paire de sneakers Adidas. Après avoir martelé consciencieusement qu’exploiter les pauvres pour le confort des riches (français, bien entendu.) c’est très vilain et conclu sur un plan d’enfants du monde entier qui courent (l’idée la plus rentabilisée dans les films catastrophe).

Seulement voilà, vous avez conscience que le placement de produit est un moyen de financer la production d’un film. Et vous comprenez bien aussi que si c’était le méchant qui portait les sneakers, et non Matt Damon-le-héros-baraqué-en-révolte-contre-le-système-capitaliste, le public s’identifierait moins bien. Il faut donc sacrifier soit au sens du film, soit à la logique marketing.

Au début de ma jeune carrière il m’importait de travailler avec une éthique, de pouvoir raconter ce que je fais à ma mère qui fait de son mieux pour comprendre mon métier sans rougir, d’expliquer mon métier à quelqu’un en soirée sans qu’il pense que je ne sers à rien (les bénéfices que je génère, le salaire que je gagne, financent les taxes françaises et la retraite de nos aînés au même titre que n’importe quelle profession !). J’ai depuis un peu fait évoluer ma définition d’un travail que je peux assumer : lorsque je mets au point une stratégie, je veux que mes pairs marketeux (et Dieu sait qu’ils sont nombreux parmi les blogueurs que je contacte) ne soient pas dégoûtés lorsqu’ils comprennent mes procédés. Parce qu’il y a des procédés, il faut le reconnaître, comme il y a des cordes sensibles sur lesquelles jouent tous les artistes, comme chaque profession a ses savoir-faire. Le marketing n’est pas sale en soi. J’en appelle à mes collègues : et si on se battait pour un marketing créatif, éducatif, ludique ? Un marketing qui a du sens ?

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2 comments on “Déformation professionnelle

  1. Merci de cet article très bien pensé chère Camille ! Je reconnais que tous ces procédés marketing sont lourds et inévitables. Déformation professionnelle ou pas, nous sommes de nombreux pékins à les reconnaître et, quelque part, c’est tant mieux : nous consommons les yeux grands ouverts mais résignés.
    Pour ma part, je repère bien mieux les placements produits dans les films et, jusqu’ici, le plus énorme que j’ai jamais vu de ma vie vécue, c’était celui du film « World War Z » avec notre bon Brad sirotant tranquillou sa cannette de Pepsi Cola. Tss, tss, tss… De toute façon, en France, on est pro-Coca (haha. hem.)
    Ophélie Feedbackbaby Articles récents…Pourquoi les hommes adorent les chieuses, de Sherry Argov. Ou le guide qui apprend aux filles gentilles à ne plus se comporter en paillassons.My Profile

  2. Hello Camille,
    Je suis en plein dans cette réflexion depuis quelques mois, d’ailleurs j’ai un brouillon de post qui patiente. Je suis en pleine réflexion sur mon avenir pro, et c’est vrai que quand je vois certaines pratiques marketing, je me demande si j’ai vraiment envie de retourner dedans. Et pourtant j’adore mon métier ! Mais certaines nouvelles pratiques apportées par le web m’écoeurent vraiment. Dans la pub et la com’ classique, les consommateurs ont petit à petit appris à décrypter les messages/les ficelles du marketing, mais sur le net c’est différent et il y a des choses qu’on ne peut pas soupçonner. Par exemple, est-ce que les internautes réalisent la pression que certains sites de booking ou de réduction font subir aux restaurateurs, hôtels… au point que parfois ils en arrivent presque à baisser le rideau ? Idem avec les comparateurs de prix, etc… Bref il y a beaucoup à dire.
    En tout cas ce serait passionnant une table ronde autour de cette thématique,
    Bises et bno week-end ♡
    Ellen A Paris (les Fleurs Rebelles) Articles récents…Jamais sans… mes bracelets !My Profile

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