Isabelle Artus et moi partageons une même fascination pour les geisha et un point en commun plus regrettable : en dépit d’un attrait évident pour le Japon, ni elle ni moi n’y avons jamais posé le pied. Ce qui ne nous a jamais empêchées, ni l’une ni l’autre, d’écrire à son sujet !
J’ai eu la chance d’assister à la rencontre organisée par Babelio et les éditions Flammarion pour échanger sur son premier roman La Petite Boutique japonaise.
Synopsis
Suite à sa lecture du roman Geisha d’Arthur Golden, la jeune Pamela n’a qu’une ambition : devenir la geisha la plus accomplie de Melun. Bravant les regards narquois et les obstacles les plus évidents à sa vocation (la formation à l’art subtil de distraire les Japonais ne court pas les rues en banlieue parisienne), elle se trouve un dana, mi-mécène mi-initiateur, en la personne du Docteur Atsura, et s’installe à Paris où elle tient une boutique de bonsaïs. C’est là qu’elle fera la rencontre de Thad, qui tente quant à lui d’appliquer le code du samouraï et l’esthétique des westerns à sa vie d’homme de main.
Mon avis
Ayant lu tout ce sur quoi j’ai pu mettre la main sur les geisha (le point de départ étant le même que celui de Pamela : une rencontre fortuite à la bibliothèque avec la fiction d’Arthur Golden), j’ai évidemment accroché à l’intrigue et tout passionné du Japon trouvera son compte dans ce voyage de papier.
La petite boutique japonaise, ce n’est pas seulement un hymne au Japon dans tout ce qu’il évoque comme chimères dans notre vision parfois idéalisée, parfois emplie de clichés. C’est aussi une quête initiatique doublée d’une réflexion sur le couple.
Et quel couple ! La relation entre Pam et Thad est extrêmement sensuelle : là où d’autres lectrices ont vu dans la geisha une femme soumise aux exigences masculines, j’ai trouvé Pamela plus féministe qu’il n’y paraissait de prime abord dans la revendication de son corps et de sa sexualité, et le refus de laisser son entourage dicter sa conduite ou son apparence. Par ailleurs, la geisha se distingue de la femme mariée japonaise par sa relative indépendance financière. Je rejoins l’auteure qui voit dans le monde des geisha une forme de résistance à un monde qui va trop vite et manque de racines.
Le style fait se côtoyer des descriptions rêveuses et des expressions très modernes, parfois familières, un mélange de genres qui s’assortit à la collision entre culture japonaise traditionnelle et références télévisuelles.
Petite frustration de mon côté, le personnage de Keiko dont les mésaventures auraient selon moi mérité d’être un peu plus développées… Mais qui sait, peut-être aura-t-elle droit à son spin-off un jour !
L’interview : Isabelle Artus répond à ses lectrices
Qu’est-ce qui vous a motivée à prendre la plume ?
J’ai été journaliste en presse écrite pendant 19 ans : la plume, cela fait longtemps que je l’ai prise ! Mais ce roman, je l’ai porté en moi longtemps (je l’écrivais sur mon temps libre, et je n’en avais pas beaucoup).
Le roman a-t-il beaucoup évolué depuis son point de départ ?
Le point de départ est assez spontané, mais je crois que j’ai fait mentalement quatre fois le tour du Japon, je suis revenue à Melun, puis je me suis attardée sur la Rive gauche… Le fait d’avoir mis longtemps à écrire le roman m’a fait cohabiter avec mes personnages, il y a des morceaux que j’ai supprimés parce que je n’avais pas envie que Pamela soit jugée.
J’étais tellement proche de ce personnage qui est déjà jugée par son entourage, je ne voulais pas en rajouter. J’écris ce qui me fait rire, parfois à ses dépens, et je ne voulais pas qu’on se moque trop d’elle.
J’ai eu un dialogue intérieur avec mes personnages : je me suis souvent dit “elle ne peut pas faire ça, elle ne peut pas parler comme ça” !
C’est un personnage un peu incongru : d’où vient-elle ?
Le Japon de Pamela était très présent dans la construction du personnage. L’adolescence est un âge qui m’a toujours fascinée, quand on se construit une identité, qu’on se cherche et qu’on a envie d’éléments visuels assez forts. Pamela, sa provocation était de prendre le contrepieds de son époque un peu sale, un peu triste, celle de Nirvana et du grunge. Elle tombe sur Geisha, ce n’est pas le plus grand livre que la littérature ait pondu mais ce n’est pas grave, c’est le sien.
Aviez-vous le même intérêt pour le Japon que Pamela ?
Il y a deux influences importantes dans mon histoire personnelle. D’abord ma grand-mère qui m’a élevée et que j’adorais, qui était érudite et très versée dans les spiritualités “asiatiques” (shintoïsme, bouddhisme…). Je revois encore la décoration japonaise dans son bureau, il y a une imprégnation qui s’est faite ! Et puis mon premier job était dans une société d’import-export de mobilier japonais à Pantin. Le Japon m’est venu comme ça !
Thad est beaucoup moins stable que Pamela.
Je ne vais pas vous cacher qu’après des années passées au magazine Psychologies, je suis plutôt jungienne.
Il est beaucoup question d’identité dans La petite boutique japonaise, un thème que j’ai beaucoup travaillé. Il faut s’adosser à quelque chose pour se construire, on fait comme on nous dit ou on fait totalement le contraire.
Pamela est plus structurée, elle a tout de même des parents qui ne l’ont jamais vraiment contrée, pour Thad ce n’est pas facile, il ne connaît pas son père et sa mère est absente. Il s’est donc construit grâce à la télévision.
Finalement, Thad remet en question les modèles sur lesquels il s’est construit, tandis que Pamela reste sur l’identité qu’elle s’est défini à l’adolescence. Peut-on penser qu’elle n’est pas devenue adulte ?
Pamela prend tout de même conscience de l’imposture lorsqu’elle arrive au Japon. Elle aurait pu rester dans l’univers dans lequel elle avait finalement réussi à s’intégrer et elle décide que ce n’est pas ce qu’elle est, ce n’est tout de même pas facile !
Tout ce que vous dites sur les geisha est-il vrai ? Est-ce le fruit de beaucoup de documentation ?
Tout n’est pas vrai mais j’ai beaucoup travaillé pour que mes choix, ce que j’allais garder ou rejeter justement, ne soit pas dicté par mon ignorance.
Avez-vous rencontré des geisha ?
J’en ai rencontré à Paris, figurez-vous ! Mais j’étais déjà avancée dans l’écriture du roman.
Est-ce possible pour une occidentale de prendre des cours pour devenir une geisha ?
Cela existe, il y a des cours de cérémonie du thé par exemple, c’est très exotique… Mais une vraie formation de geisha, c’est extrêmement difficile, physiquement et moralement. Beaucoup abandonnent en cours de route. Sans une véritable vocation chevillée au corps, c’est compliqué !
- Note de la blogueuse : l’ethnologue américaine Liza Dalby a suivi une formation de geisha et raconté son expérience dans un livre dont je vous ai fait la chronique il y a quelques années.
Êtes-vous imprégnée de littérature japonaise ?
J’adore Murakami, qui flirte beaucoup avec l’absurde, la frontière entre le réel et ce qui ne l’est pas chez lui est très floue.
Mon préféré est Le Passage de la nuit. C’est grâce à lui que j’ai envoyé Thad à Sapporo plutôt qu’à Shikoku (où il y a une bibliothèque merveilleuse, c’était beaucoup trop cool !). J’ai eu tellement froid en lisant Murakami quand il parle de Sapporo que je devais l’envoyer là-bas, et avec peu de vêtements, ça lui apprendrait !
Pourquoi Tokyo est-il si triste dans vos descriptions ?
Tout le monde a une idée sur le Japon, c’est fascinant, et c’est ce qui me plaisait. Je ne suis jamais allée au Japon : je voulais juste jeter mes personnages au Japon et les confronter à leur fantasme.
Cela ne vous a pas fait peur d’écrire sur le Japon sans y être allée ?
A un moment j’ai bloqué, quand je me suis demandé quelle serait ma part d’invention et la part de réalité… Je me suis fait la promesse de faire quelque chose de plus simple pour mon prochain livre et je n’ai pas pu m’en empêcher, c’est compliqué…
Peut-on en savoir plus sur votre prochain roman ?
Ce sera très différent, il y aura de nombreux personnages : j’aime bien les gens, j’aimais beaucoup Pennac, la tribu Malaussène… Mon point de départ n’est pas l’intrigue, elle vient des personnages.
Cette fois, cela va tourner autour d’un garçon et toujours de la question de l’identité, pourquoi on fait les choses. Il lui manque des séquences de mémoire et ce qu’il observe sur lui ne semble pas matcher. Ma nouvelle terra incognita après le Japon, c’est le cerveau d’un mec !